vendredi 29 mai 2009

Violences scolaires : "Il faut stabiliser les équipes"

"L'école doit être sanctuarisée", a réaffirmé, mercredi 27 mai, Xavier Darcos, qui recevait, "dans le cadre de la lutte contre l'introduction d'armes dans les établissements", les représentants des fédérations de parents d'élèves, des collectivités locales et ceux des chefs d'établissement. A cette occasion, le ministre de l'éducation a repris l'ensemble de ses propositions formulées depuis l'agression au couteau, le 15 mai, d'une enseignante par un collégien de 13 ans au collège François-Mitterrand de Fenouillet (Haute-Garonne).

M. Darcos prône notamment l'installation de portiques de détection de métaux à l'entrée de certains établissements, la création auprès des recteurs d'une "force mobile d'agents assermentés" et la possibilité juridique pour les personnels de fouiller les sacs des élèves. Ces propositions ont déclenché un tollé dans le monde enseignant, et des prises de position critiques de la part de la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, et du haut-commissaire aux solidarités actives et à la jeunesse, Martin Hirsch.

Eric Debarbieux, professeur à l'université de Bordeaux-II et directeur de l'Observatoire international de la violence à l'école, répond à nos questions.

La violence en milieu scolaire est-elle en augmentation en France ?

La tendance, depuis une dizaine d'années, est qu'il n'y a pas d'augmentation globale de la violence à l'école, mais une augmentation inégale, statistiquement concentrée sur les lieux d'exclusion sociale. L'essentiel consiste en "petites" violences répétées, qui ne font pas l'actualité mais sapent le moral de tous. On constate aussi, parmi l'ensemble des faits de violence, une forte augmentation de ceux visant les adultes.

Depuis plusieurs années, dans nos propres enquêtes dans les établissements "sensibles", cette dégradation de la relation aux adultes est patente. Les statistiques 2005-2006 du ministère de l'éducation, les dernières issues de plusieurs années d'utilisation d'un même outil de signalement, faisaient état d'une augmentation de 7% en un an des incidents touchant les enseignants, et de 25 % depuis 2003 des incidents touchant les personnels de surveillance et les conseillers principaux d'éducation (CPE).

Quand M. Darcos a suggéré de mettre en place des portiques détecteurs de métaux dans certains établissements, M Hirsch a dit qu'il était contre "transformer les écoles en aéroports". Certains se moquent de ce genre de proposition…

S'en moquer ? Certainement pas. Préférerait-on l'immobilisme ? Mais il est vrai qu'en France, sous le coup d'un certain affolement, des "solutions" comme la vidéosurveillance ou des détecteurs sont réclamées à cor et à cri. La moindre des précautions avant de les adopter serait d'examiner leur efficacité. L'effet des détecteurs à l'entrée des établissements a été évalué, entre autres, par une enquête du FBI. Contrairement à la légende, ces détecteurs ne sont présents que dans moins de 1 % des écoles américaines (d'après le rapport annuel "Indicators on Crime Safety" en 2006). Les effets pervers en sont bien connus : ressentiment montant des élèves, sentiment de mépris, éventuellement renforcé par la fouille des cartables, et, finalement, augmentation de la violence antiscolaire !

M. Darcos a aussi suggéré la création d'une "force mobile" intervenant "sur des missions de prévention et de contrôle" et pouvant opérer des fouilles d'élèves…

Les fouilles systématiques sont un des moyens les plus sûrs d'augmenter la violence. Quant à l'intervention ou la présence d'une "force", de nature policière ou non, tout dépend de son style. Si c'est, par exemple, une vraie police de voisinage, en lien avec les établissements, les habitants, les jeunes eux-mêmes, alors oui, il y a des expériences très concluantes, comme à Toronto, au Canada.

Chaque gouvernement, après un fait dramatique, annonce son plan contre la violence à l'école. M. Darcos parle aujourd'hui de "sanctuariser l'école"…

Quoi de nouveau ? Gilles de Robien, le précédent ministre, en parlait en 2006… comme l'avait fait François Bayrou en 1993. Cette notion se fonde sur une fausse évidence : la violence viendrait de l'extérieur. D'où une logique de clôture de l'espace scolaire. Pourtant, qu'on le veuille ou non, la relation pédagogique – un mot devenu imprononçable en France – est au cœur du problème ! Par ailleurs, l'importance de la stabilité des équipes pour la protection des élèves et des personnels est une constante dans la recherche internationale. Or, notre système de recrutement des personnels de l'enseignement secondaire est une catastrophe. Elle se traduit par l'envoi en masse de jeunes débutants, non ou peu formés, dans des établissements sensibles dont ils n'ont qu'une idée : en partir. La manière dont est cogérée la nomination de nos enseignants est insensée. J'avoue en avoir assez de le répéter.

Enfin, la formation à la gestion du stress, à la dynamique de groupe, à la prise de parole, au travail en équipe doit accompagner, à égale dignité, leur formation disciplinaire. Mais en France le débat est tellement masqué par l'idéologie que les avancées sont fort lentes, comme si la lutte contre la violence à l'école devait être "de droite" ou "de gauche". Il est triste qu'elle soit un enjeu électoral.
Propos recueillis par Luc Cédelle, Le Monde

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